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Les porteurs d’eau à Alger, entre le XVIe et le XIX e siècle

Dès le XVI e siècle, bon nombre de personnes (esclaves ou autochtones) gagnaient leur vie en portant de l’eau du matin au soir, faisant acheminer la précieuse boisson de la fontaine aux maison, ou encore des champs à la ville.

Dans sa « Description générale de l’Afrique » Pierre Davity a évalué le nombre de porteurs d’eau pour la ville d’Alger, à plus de 1000. Parmi eux, des captifs chrétiens, dont certains étaient des personnes importantes avant de connaitre les affres de l’esclavage. Toujours est-il que leur récit nous est précieux, pour retracer le parcours de ces forçats de l’eau.

De célèbres porteurs d’eau 

Un français du nom de Chastelet des bois, retenu captif à Alger de décembre 1642 à fin juillet 1643, fut affecté à cette tâche. Il en dira : «  (Mon maître) m’ordonna de porter de l’eau des fontaines publiques par la ville chez les particuliers et en vendre […]. Le lendemain l’on ne manqua pas de me donner deux grandes cruches d’airain qu’à peine pouvais-je porter vides, mais la crainte donne des forces et ailes à celui qui court… Je criais comme les autres à gorge déployée le long des rues ab al mâ ».

De Roqueville eut le même sort à peu près à la même période. Il passé ses neufs mois de captivité à porter de l’eau. Son témoignage rutile de détails sur une besogne qui n’était pas seulement pratiquée par des « étrangers » réduits à l’esclavage. Ainsi, et grâce à ses notes, l’on apprend que l’habit du porteur était de toile « d’une vielle voile de navire », et ses cheveux étaient coiffés d’un bonnet rouge. « Il se servait d ‘un baril qui tenait environ treize pintes « (mesure ancienne utilisée pour les liquides. 1 pinte = 0.93 L)

le porteur d’eau s’en allait ainsi vêtu pour être reconnu, et portant son lourd fardeau, vendre de l’eau. La somme de la journée de labeur devait satisfaire le « patron », et couvrir la subsistance du travailleur. Et pour cela, c’est pieds nus, qu’il s’en allait chaque jour, vendre ses plus de cents barils. De Rocqueville  acquiert dès le premier « voyage » à la fontaine, les rudiments du métier. Les esclaves qu’il rencontra lui indiquèrent « les rues ou il fallait aller crier de l’eau, à la manière qu’il était nécessaire de le faire ». 

Il faut savoir que les rues étaient très étroites, et pour que les gens puissent faire place au porteur d’eau, ce dernier devait s’annoncer en criant sur son chemin : « belluque », « belluque » (autrement dit « balak » : attention).

D’autres captifs, et non des moindres, furent logés à la même enseigne. Et l’écrivain espagnol Miguel de Cervantès, ne fera pas exception. L’on apprend dans son livre El Trato de Argel, qu’en plus des travaux des champs et de copie, il s’en allait chercher de l’eau à la fontaine.

Le coriace Biskri

Les  habitants d’Alger, ne « disposant » pas d’esclaves se tournaient vers les biskris. Comme leur nom l’indique, les biskris sont originaires de la région de Biskra, et grâce à leur force et ténacité, ils avaient presque le monopole sur certaines activités. Ils étaient non seulement porteurs d’eau, mais aussi vidangeurs et cureurs de puits. Moult témoignages nous sont parvenus à leurs sujets, car bien des voyageurs, aventuriers et historiens de l’Algérie les évoquèrent dans leurs notes. Ernest Feydeau dira dans son « Alger, Paris » que ce sont « des hommes courageux, industrieux, économes et qu’ils étaient doués d’une force herculéenne »

Les seuls moments de loisirs que le biskri s’accorde, il les passe au café maure, jouant, fumant en attendant de nouveaux ordres. Après quelques années, il repart sur sa terre natale, enterrer les gains amassés les mettant ainsi en lieu sûr, puis revient en « ville » reprendre le travail. Il en sera ainsi durant toute sa vie ! 

Les enfants à la fontaine 

L’eau potable était un peu rare, et après 1830 la cruche d’environ 10 Litres  pouvait coûter jusqu’à 10 sous. Autant dire que peu d’habitants avaient les moyens de s’offrir un tel luxe; alors on croisait dès le lever du jour, une ribambelle de gamins de tout âge, munis d’un récipient adapté à leur taille : cruche, sceaux, bocaux , courant joyeusement vers la fontaine.  

Ce spectacle grouillant fit la joie des Européens. Les écrivains immortalisèrent la scène par la plume et les peintres par le pinceau.

Mira B.G

Sources :

  1. D. Haedo « topographie histoire générale d’Alger », 1870-1
  2. Rocqueville, Relation des mœurs et du gouvernement des Turcs d’Alger », 1675
  3. Ernest Feydeau, Alger-Paris, 1862
  4. P. Davity, « Description générale de l’Afrique », 1660
  5. M. Belkamissi « Alger par ses eaux », 2003

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2 commentaires

dockcz 12 avril 2020 at 11 h 58 min

Belle évocation du passé d’Alger. Une vision un peu trop péjorative à mon sens d’un métier comme un autre qui était la source de revenu de ceux qui n’étaient pas esclaves et une bonne occasion de prendre l’air pour ceux qui l’étaient. Porter sur son dos 30 litres d’eau, même à longueur de journée n’est sans doute pas pire que pour l’obèse trimbaler son surpoids qui parfois dépasse les 50 Kg. J’imagine plutôt une ville d’Alger animée, colorée , grouillante, riante, et les cris des porteurs d’eau autant de voix aussi enchanteresses que les appels aux clients aujourd’hui au marché.

Réponse
Elbach 23 juin 2021 at 19 h 00 min

Exact, l’évocation du très ancien Alger a de quoi faire rêver et on aurait voulu voir et vivre cela en personne et il est bien regrettable qu’il n’y a pas eu des réalisateurs et producteurs pour recréer dans des films ou série , cette vie d’autrefois comme cela a été fait dans le monde occidental.Vous avez raison d’imaginer une ville d’Alger animée,colorée,grouillante,riante car pour ce qui me concerne j’ai vécue une telle vie et souvent il m’arrive de me remémoré des instants inoubliables tel un véritable film qui se déroule dans ma mémoire.Ce que j’ai vécu ,certes cela ne remonte pas aussi loin dans le passé mais seulement en fin des années 1940 : je n’avais que 9 ou 10 ans et j’ai passé un certain temps dans la basse Casbah où mon père avait un commerce de tabacs : exactement c’était à la place de Chartres (aujourd’hui ALI EL KAMA ) .Il y avait un marché constitué de deux parties :l’une concernait les fruits et légumes et les étals étaient tenus par des Algériens et l’autre partie c’était des étals de tissus de vêtements et de mercerie détenus par des juifs et quelques Algériens.Et tout ce monde vivait au jour le jour dans une entente conviviale et chacun haranguait la foule de visiteurs pour leur vendre le maximum de leur produits. Leur harangue,particulièrement celle des juifs résonnent jusqu’à ce jour dans mes oreilles :  » Rabrinne ,Rabrinne Douros el mitra  »
Parmi ces vendeurs juifs ,il y a avait même des femmes (en général leur épouses ‘) qui haranguait la foule .Il y a lieu de préciser que cette communauté ,très anciennement installée,vivait en symbiose avec les musulmans et bien entendu non seulement elle comprenait notre langue mais elle la parlait.
Ainsi donc ,dans ce quartier ,il existait tous les commerces et même des ambulants qui était spécialisés dans les vêtements , et qui du matins au soir ,déambulaient dans cette place et bien entendu arrivaient à gagner honnêtement leur pain du jour.Je me rappelle qu’il avait de temps en temps un ou deux marchands d’eau qu’ils transportaient dans un assez grande outre faite de peau de chèvre qui se terminait d’un tuyau avec un petit robinet.Il distribuait l’eau dans un gobelet en cuivre ,d’ailleurs qui,au soleil,brillait de milles éclats. De plus,je pense que ce qu’il offrait aux gens , c’était plutôt un  » cherbat citronné « .
Enfin j’arrive au principal du sujet : à savoir la vie du ramadan en ce temps là.C’étaient des ramadan inoubliables .Il est vrai que toute la matinée était nonchalante , très peu de monde dans les rues malgré que les commerces étaient ouverts ,le marché fonctionnait normalement mais lentement.
Il se trouve qu’à chaque ramadan ,un ou deux jours avant , une grande marque de tabacs ,à savoir  » Bastos  » ,bien sûr au titre de publicité , enjolivait notre rue avec des guirlandes avec des petits drapeaux de toutes les couleurs ; c’était comme s’il y allait y avoir un bal du soir.Certes il allait y avoir de la musique ,du chaabi,de l’andalous , mais sans danseur ,bien sûr .
Ainsi,le ramadan en périodes d’après printemps et durant l’été , se vivait en après midi et surtout en soirée.Donc après une matinée monotone , dès 14 ou 15 h ,il y avait plus de va et vient des citoyens et certains commerces allaient se préparer pour la soirée.La majorité commençaient à préparer leur devant de locaux par de grands jet d’eau et de balayages : cela se passait surtout au café qui commençait à faire briller son local et ses tables pour bien recevoir les clients d’après le f’tour ,tant à l’intérieur du local que dehors et afin d’animer la soirée par un orchestre d’andalous et de chaabi .Il faut dire que dans toute la casbah ,ce cérémonial existait dans la majorité des cafés de la Casbah .Beaucoup de nos grands et célèbres musiciens et chanteurs ont animés ces soirées tel que EL HADJ M’HAMED EL ANKA,EL HADJ M’RIZEK, .
En ce temps là ,il y avait un commerce qui florissait durant chaque Ramadan ,c’était celui de la Zalabia et pour tous un chacun il fallait déguster la célèbre  » Zalabia de Ami Hamidou  » qui,d’ailleurs,c’était lui même officiait une à deux heure avant le f’tour.
Si j’ai connu cette période de divers ramadan ,c’est bien parce que ,à une période donnée , mon père ne fermait pas son commerce et c’était moi qui lui amenait son ftour de notre maison.Donc,une à une heure et demi de la rupture du jeûne ,le repas de mon père dans un couffin ,je me dirigeais vers le bus (d’abord ) ou plutôt c’était en ce temps là le trolleybus : c’est à dire un bus qui avait deux perches sur son toit et qui frottaient avec deux fils électriques et cela tout le long d’un trajet qui me menait au Quartier du Ruisseau (les annassers ) où là il fallait prendre le tramways ,qui était électrique et qui était mû de la même façon que le trolley.(et dire que sans se rendre compte ,déjà en ce temps là on était écologue sans le savoir )Et malheureusement ensuite on est venu au gas-oil. Donc,il fallait prendre se tramway,parfois ,on y montait  » en marche  » c’est à dire qu’il venait de démarrer et donc roulait à très petite vitesse et de plus ,il n’avait pas de porte qui pouvait condamner la montée dans un compartiment.Ce tramway avait pour terminus , la place du Cheval (Actuelle place des Martyrs ) et allait stationner à hauteur du palais Consulaire.Souvent,quand il arrivait à hauteur de la courbe qu était face à la place et pour gagner quelques secondes , je me permettais de  » descendre en marche  » ,car à ce niveau , il avait ralentit.
Voila , mon petit souvenir .

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