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L’encombrante « madone » d’Hocine Zaourar

01Qui ne connaît pas la « madone de Bentalha » ? Cette photo, prise en 1997 durant la période de massacres en Algérie, est devenue une icône, qui a fait la « une » de 750 journaux. Son auteur, Hocine Zaourar, photographe de l’Agence France- Presse (AFP), est le seul Algérien lauréat du World Press. Mais, huit ans après, il est amer : « Cette photographie ne m’a rapporté que des ennuis. » Interdit de travail dans son pays, il est aussi en délicatesse avec son employeur, l’AFP.

Le 23 septembre 1997, Hocine Zaourar photographie à l’hôpital de Zmirli, près d’Alger, une femme terrassée par la douleur ; sa famille a été tuée par les Groupes islamiques armés (GIA), à Bentalha, lors d’un massacre qui a fait près de 200 victimes. Dans cette femme effondrée, l’Occident voit une pietà qui s’inscrit dans la tradition picturale chrétienne. Dans le monde, l’impact est énorme.

Mais, en Algérie, les journaux et le régime font campagne contre Hocine Zaourar, accusé de donner une image négative du pays, voire de servir la cause des terroristes : le journal Horizons, proche du pouvoir, prétend que c’est une mise en scène. Puis les critiques se concentrent sur la légende, erronée, de la photo : la femme n’a pas perdu ses enfants, mais son frère, sa belle-soeur et son neveu. C’est enfin la « madone » elle-même qui porte plainte contre Hocine Zaourar et l’AFP pour atteinte à l’image et pour diffamation. Il faudra cinq ans de procédures avant que l’affaire se conclue par un non-lieu.

Aujourd’hui, le pays semble avoir retrouvé le calme. Mais Zaourar est dans l’impasse. Depuis 2004, le ministère de la communication lui refuse sa carte de presse, sans laquelle il ne peut travailler. L’heure est à la réconciliation nationale. La célèbre image rappelle sans doute trop les tueries des années 1990.

INCOMPRÉHENSION

L’épouse du photographe, Abla Cherif, journaliste au Matin (un quotidien aujourd’hui fermé), est aussi en situation délicate. Un de ses articles, jugé diffamatoire envers un homme d’affaires proche du président Bouteflika, lui a valu une condamnation en première instance à deux mois de prison ferme. Le jugement en appel est attendu le 19 octobre.

Pour l’AFP, c’est le casse-tête. Comment faire travailler un photographe dont l’avenir en Algérie est bouché ? L’agence évoque des difficultés liées à son passeport algérien, qui lui interdit certaines destinations, à son anglais approximatif, mais aussi à son caractère « difficile ». Des journalistes de l’AFP, qui disent l’avoir défendu, ont pris leurs distances, le jugeant « trop intransigeant ». Et le photographe se dit « lâché » par l’agence, pour laquelle, depuis douze ans, il a réalisé des reportages difficiles et de qualité.

Une mission à Bagdad lui a été proposée. « Quand bien même des diplomates algériens y ont été assassinés, je suis volontaire, dit Hocine Zaourar. Ce que je veux, c’est travailler. » Mais des proches s’inquiètent de le voir débarquer dans la zone de guerre la plus dangereuse au monde, au point que les agences recourent désormais à des journalistes irakiens (Le Monde du 6 septembre).

En juillet, aux Rencontres de la photographie d’Arles, Hocine Zaourar a évoqué sa situation avec le président de l’AFP, Bertrand Eveno. Selon le photographe et plusieurs de ses amis, le président, « très rassurant », aurait écarté l’hypothèse irakienne. Joint au téléphone, M. Eveno dément : « J’ai dit que l’Irak était envisageable pour une mission courte, car Hocine est d’origine berbère ; il parle un arabe différent de l’arabe irakien, ce qui rend difficile le travail sur le terrain. »

A la fin de l’été, après un stage de « remise à niveau » à Paris, le photographe s’est violemment opposé à sa hiérarchie. « J’ai appris qu’en Irak je serais payé avec mon salaire algérien. J’ai protesté, et on m’a dit que je devais « faire mes preuves » ! Que si je ne pouvais pas travailler en Algérie, c’était la faute de ma femme. On a même insinué que je voulais obtenir des papiers en France. On se serait cru dans un commissariat. J’ai été humilié. »

La directrice de la photographie de l’AFP, Paola Messana, conteste : « Nous n’avons jamais dit ça. Nous avons seulement discuté de sa situation difficile. Pour sa mission en Irak, il n’est pas question d’aller au-delà du tarif habituel sous prétexte qu’il a obtenu un World Press. »

La règle veut, à l’AFP, que pour une mission courte (six semaines) le photographe garde son salaire de base ­ – environ 1 600 euros pour Hocine ­-, auquel s’ajoutent 60 dollars par jour. Quels que soient la destination et les risques. « Cette mission n’était qu’une étape, ajoute Paola Messana. L’idée était de lui trouver ensuite un point de chute, par exemple à Amman, en Jordanie, où il pourrait s’installer en tant qu’expatrié, avec un salaire réévalué et des conditions différentes. » Le photographe s’énerve : « A Alger, ils m’ont remplacé par quelqu’un payé plus de 4 000 euros par mois. Je ne suis pas un débutant. Pourquoi oublient-ils ces dix années à couvrir le terrorisme en Algérie ? »

Entre les deux parties, l’incompréhension est totale. Au-delà du conflit, le cas Hocine est exemplaire du basculement de statut du photojournalisme depuis cinq ans : la photo de presse est devenue aussi un produit culturel. La « madone » a été exposée, publiée dans des livres, commentée, collectionnée. L’AFP a largement profité de ce succès. Mais, dans le même temps, sa culture du salariat cadre mal avec la valorisation culturelle de ses photographes.

Le plasticien Pascal Convert a réalisé un film documentaire et une sculpture à partir de la « madone ». Il relie ce conflit à une « crispation générale autour de la question de l’auteur ». Hocine commente : « L’AFP ne veut pas qu’une tête dépasse. » Il dit n’avoir touché, à la suite du triomphe de son image, qu’« une prime de 10 000 francs à l’époque ». Il ajoute : « Depuis que j’ai eu le World Press, ils m’ont enterré en Algérie. Pour les soixante ans de l’AFP, cette année, ils ont exposé ma photo à la BNF. Elle faisait l’affiche. Je n’ai même pas été invité ! »

Pour la première fois, Hocine a pu brièvement sortir son négatif de l’AFP afin de « faire quelques tirages ». Il est depuis rentré en Algérie pour le ramadan. Il n’est pas fixé sur son avenir.

https://www.lemonde.fr/culture/article/2005/10/06/photographie-l-encombrante-madone-d-hocine-zaourar_696439_3246.html

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