Babzman
Image default
Accueil » Si la Grande-Poste nous était contée… Partie I
Patrimoine en danger

Si la Grande-Poste nous était contée… Partie I

postaElle est algéroise — maure même — mais son père, un vieux gouverneur français, en a fait un symbole du colonialisme. Belle, majestueuse, imposante… elle plaît toujours autant malgré ses 110 ans. Elle attire des milliers de personnes chaque jour mais pratiquement plus personne ne s’occupe d’elle. Ne cherchez plus, elle, c’est la Grande-Poste d’Alger. Un bijoux architectural laissé à l’abandon.

La Grande-Poste, ou l’Posta, c’est le cœur de la capitale. Le marbre de son escalier est le point de rendez- vous favori des Algérois. L’édifice abrite aussi le plus grand bureau de poste d’Algérie avec une moyenne de 9000 usagers par jour. Depuis sa construction au début du siècle dernier, la Grande-Poste a toujours été un haut lieu du service public mais durant l’époque coloniale c’était surtout le symbole d’une politique et d’un courant architectural imposé par un administrateur idéaliste et un groupe d’intellectuels pieds-noirs.

Le style néo-mauresque

Tout a débuté en 1903, avec la nomination de Charles Célestin Jonnart au poste de gouverneur général. L’homme est un habitué de l’Algérie. Pour lui, la réussite de la colonisation française passe avant tout par un rapprochement avec les autochtones. Et ce rapprochement se doit d’être avant tout culturel et religieux. Pour ce faire, le gouverneur général Jonnart publie une série de circulaires afin d’imposer un certain style architectural aux constructions publiques. Jonnart devient ainsi l’initiateur d’un nouveau mouvement stylistique aux tendances orientales : le néo-mauresque.

En 1904, les constructions scolaires sont les premières concernées par ces décisions administratives. Ce choix n’est pas fortuit car la communauté musulmane a montré certaines réticences envers l’école laïque, instaurée en 1902. L’enseignement religieux doit être surveillé de près et il est urgent de l’adapter à l’enseignement républicain. L’école coranique située à proximité du mausolée de Sidi-Abderahmane, dans la Basse-Casbah, est le premier édifice construit dans le style néo-mauresque. La Medersa, “destinée à l’enseignement supérieur des jeunes indigènes”, a été inaugurée en octobre 1904 par le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts. “C’est ainsi que sur les pentes de notre Casbah, dans le quartier même où nous fîmes naguère tant de ruines pour la percée de la rue Marengo, nous élevons en ce moment un superbe monument oriental qui apparaît comme une réparation aux ravages exercés en ces lieux.

Ce haut édifice, dont on voit de l’esplanade de Bab-El-Oued se détacher la coupole sur le blanc chaos des maisons arabes, c’est la nouvelle Medersa”, écrit alors un officier français dans une correspondance adressée au maréchal Bugeaud. Charles Célestin Jonnart considère que son initiative est une réussite. Il publie de nouvelles circulaires pour imposer le style néo-mauresque aux constructions administratives et publiques et aux édifices communaux. En 1906, le gouverneur général confie à l’architecte Henry Petit, qui s’est chargé de la construction de la Medersa de la rue Marengo, la réalisation du siège du journal La Dépêche Algérienne, et celle du siège de la Préfecture. Ces deux édifices existent toujours. Le premier a été récupéré par le RND de Ouyahia et le second a gardé sa fonction initiale puisqu’il abrite les services de la Wilaya d’Alger.

En 1909, Petit achève la construction du magasin des Nouvelles Galeries, situé rue d’Isly, actuellement Larbi-Ben-M’hidi.

Symbole de la puissance coloniale

Mais le gouverneur Jonnart veut ériger un monument symbolisant en même temps la puissance du colonialisme, la réussite des Français d’Algérie — qui éprouvent alors un certain complexe envers leurs compatriotes de Métropole — et auquel pourraient s’identifier l’ensemble des communautés. Son initiative est d’ailleurs encouragée par un groupe d’intellectuels piedsnoirs.

Les architectes Voinot et Tondoire sont chargés de réaliser ce monument dédié exclusivement aux PTT (Poste, Télégraphe et Téléphone), puissante institution de service public durant l’époque de l’empire colonial français. La nouvelle recette postale doit remplacer l’ancienne poste située rue de Strasbourg, devenue trop exiguë pour une ville en constante expansion. “La Grande- Poste a été édifiée sur les restes de l’ancien fort turc situé sur le bras de mer de Ras Taffoura. De ce fort, il ne reste plus qu’une batterie de canons que l’on peut voir au niveau du parc Sofia. La légende dit que c’est sur la plage de Ras Taffoura que Sidi Ouali Dada a frappé la mer de son gourdin pour déclencher la tempête qui allait faire couler la flotte de Charles Quint”, explique Belkacem Babaci, spécialiste de l’histoire d’Alger. “De part sa situation, la Grande- Poste est devenue le cœur de la ville européenne.

A proximité de ce monument, il y avait une statue de Jeanne d’Arc ainsi qu’un buste du duc d’Isly. Sur le plateau des Glières, situé en contrefort, on pouvait voir le monument aux Morts ainsi qu’une grande horloge florale. C’était toute la puissance de la France qui était représentée dans ce quartier d’Alger”, ajoute M. Babaci. Reste que Voinot et Tondoire ont réalisé une magnifique œuvre d’art. Avec sa grande coupole et ses deux faux minarets, la Grande-Poste est d’une beauté saisissante.

La façade principale est ornée de trois arceaux et d’une galerie supérieure à colonnes jumelées. Un large escalier de marbre couleur ambre permet d’accéder sur le parvis qui donne sur trois portes monumentales taillées dans du bois précieux. A l’intérieur, le précieux est conjugué à toutes les formes. Avec ses faïences, arcs, coupoles, stalactites et stuc ciselé, le plafond de la salle principale est un joyau architectural. Les plans ont été tracés par les Européens mais l’essentielle de la main-d’œuvre était algérienne et marocaine. Certains ouvriers y laisseront la vie.

A l’instar des plâtriers de Guemar, petite oasis de la région de Oued-Souf, passés maîtres dans l’art du stuc ciselé. Pour sa part, Jonnart a tenu à marquer les lieux de son empreinte. “La hauteur de la construction qui a embelli l’œuvre avait été choisie par le gouverneur général Jonnart”, peut-on lire dans des cartouches polychromes. La religion est également très présente dans ce décor oriental à travers les inscriptions suivantes : “Dieu est vainqueur”, “Le pouvoir éternel Lui appartient” ou encore “Il n’y a de puissant que Dieu”. Dans leur œuvre, Voinot et Tondoire auront su allier art, spiritualité et fonctionnalité. Car la Grande-Poste est avant tout un bureau de poste qui offre une multitude de services à la pointe de la technologie du début du XXe siècle. Sur le plan politique et culturel, le résultat n’est pas fameux.

Dans l’esprit de l’administration coloniale, l’adoption du style néo-mauresque devait être un facteur de rapprochement avec la communauté musulmane. Mais cela n’aura finalement aucun effet sur le quotidien des “indigènes”, devenus étrangers dans leur propre pays. A titre d’exemple, la quasi-totalité des employés de la Grande-Poste étaient européens. Seuls deux emplois étaient ouverts aux Algériens: manutentionnaire ou télégraphiste. “Dans ma jeunesse, je rêvais d’être télégraphiste.

C’était un travail simple, il suffisait de livrer les télégrammes à domicile. En plus, c’était plutôt bien payé car les télégraphistes avaient toujours droit aux pourboires et surtout aux étrennes lors des fêtes de fin d’année”, se rappelle ammi Rédha qui a fini par faire carrière dans le service public.
C’était l’époque de l’almanach et des standardistes du central téléphonique. «Comme dans le 22 à Asnières, le fameux sketch de Fernand Raynaud”, note Belkacem Babaci en souriant.

Témoin de l’Histoire

Après les années 20, le style néo-mauresque est passé de mode. Plus question de concilier les cultures arabo-islamique et française. L’administration coloniale ne veut plus s’encombrer des décisions idéalistes du gouverneur Jonnart. Ce dernier connaît néanmoins la gloire en devenant “immortel” puisqu’il fait son entrée à l’Académie française en 1923. La transformation du paysage urbain d’Alger ne s’arrête pas pour autant. La ville devient un immense atelier où se côtoient différents styles et courants architecturaux.

Mais la Grande-Poste reste incontournable. Irremplaçable. C’est le monument attitré des éditeurs de cartes postales. La Grande-Poste est à Alger ce que la tour Eiffel ou l’Arc de Triomphe sont à Paris. La Grande-Poste est aussi un témoin silencieux de l’histoire d’Algérie. Durant la guerre de Libération, les postiers algériens qui y travaillaient ont payé un lourd tribut. Trente-six d’entre eux ont perdu la vie, presque tous assassinés par l’OAS. A l’intérieur de la grande salle, une plaque commémorative leur rend hommage. La folie meurtrière de l’OAS a également causé la mort d’une cinquantaine de civils français qui manifestaient pour “l’Algérie française”.

Les faits remontent à la fin mars 1962, lorsque le général Salan, chef de l’organisation terroriste, a tenté de faire capoter l’accord de cessez-le-feu signé entre le FLN et l’Etat français en tuant des Algériens sans défense. En parallèle, l’OAS incite la communauté européenne à manifester dans les rues. Le 26 mars, alors qu’une foule nombreuse manifeste devant la Grande- Poste, des coups de feu “d’origine inconnue”, d’après la presse, sont tirés vers des militaires assurant l’ordre public. Ces derniers répliquent en mitraillant la foule à bout portant. Le bilan officiel de la “fusillade de la rue d’Isly” est de 56 morts et 150 blessés.

Pour les historiens, cet événement marquera le début du départ massif des pieds-noirs vers la France. Construite dans l’esprit de rapprocher les deux communautés, la Grande-Poste aura finalement été le théâtre de la rupture. .. A Suivre 

Tarik Hafid 

Articles similaires

1 commentaire

Latreche Mohamed salim 4 août 2021 at 9 h 37 min

Merci pour ces informations

Réponse

Laissez un commentaire