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Le nationalisme algérien (1900 à 1954)

Les grands personnages de notre Histoire : témoignage inédit

musLes grands personnages de notre Histoire sont souvent décrits par leurs exploits dans la lutte armée au plan politique ou militaire. On oublie parfois qu’ils étaient, avant tout, de simples êtres humains, avec leur sensibilité, leurs forces ou faiblesses, leurs sentiments…

Pour avoir côtoyé, durant plusieurs années, ceux qui ont eu le destin de notre pays entre leurs mains, j’ai eu le privilège de vivre en leur compagnie à un âge (9 ans) où ce sont les sentiments qui dominent. J’ai souhaité, donc, faire partager ces moments, en décrivant certaines anecdotes, toutes vécues, qui donnent une autre image de ces personnages, vus à travers le regard d’un enfant.

 

Mostefa Ben Boulaïd, un homme simple et généreux


Parmi tous ceux qui séjournaient régulièrement dans notre demeure à Raïs Hamidou (anciennement Pointe Pescade), Mostefa Ben Boulaïd occupait une place particulière au sein de notre famille. Les liens de considération et d’amitié qu’il entretenait avec mon père, Mourad, se sont étendus à l’ensemble de la famille et nous le traitions comme un de nos membres. Ce personnage, par sa stature, sa simplicité et sa grandeur d’âme inspirait un sentiment de respect mais également d’affection, tant sa sobriété et sa générosité nous avaient marqués.

Il avait une grande affection pour tous les enfants de la famille, et en particulier pour ma sœur Sadjia et moi-même, l’aîné de la famille. Ma sœur était très proche de lui et manifestait des sentiments de joie à sa vue en déclarant, sans cesse :«Tonton aux yeux bleus est arrivé !»En fait, Si Mostefa avait des yeux de couleur verte mais ma petite sœur ne faisait certainement pas la différence car, pour elle, il ne pouvait y avoir que des yeux noirs ou bleus.

Si Mostefa avait une affection débordante pour elle qui le lui rendait bien et cela créait un sentiment de chaleur intense qui faisait le bonheur dans notre famille, confrontée, sans le savoir, à des risques majeurs que notre père avait pris en faveur de la Révolution. Mes relations avec Si Mostefa étaient beaucoup plus sobres, j’avais de l’admiration pour ce personnage hors du commun, tant il inspirait de la noblesse, surtout lorsqu’il venait chez nous coiffé de sa «chéchia stamboul», élégamment portée sur sa tête. Il arrivait souvent dans sa propre voiture de marque Peugeot (202 ou 203) de couleur vert olive et stationnait loin de notre domicile pour des raisons de sécurité.
Pendant les quelques jours qu’il passait chez nous, c’était, bien entendu, les rencontres avec ses autres compagnons. On voyait défiler ensemble ou à tour de rôle les Boudiaf, Ben M’hidi, Bitat et Didouche. Les réunions se tenaient à huit clos, parfois dans la chambre minuscule où ils logeaient, mais également dans le patio y attenant. C’était une ambiance conviviale et il n’y avait ni protocole ni aucune gène. Une ambiance familiale «somme toute…». Bien évidemment, nous étions très loin de nous douter que le destin de l’Algérie se jouait en ces moments-là…

Nos parents, Mourad et Madjid, simples artisans, se rendaient tous les matins à leur travail, laissant parfois Si Mostefa, qui souhaitait faire plaisir aux enfants, en proposant de les prendre à la plage dans sa voiture. Quel bonheur pour nous mais je crois qu’on le doit à ma petite sœur car je suis convaincu que c’était en grande partie pour elle…

Et donc, c’était une joyeuse ribambelle d’enfants (cousins et cousines, y compris) de la famille Boukechoura qui prenait le chemin de Palm Beach qu’aimait beaucoup Si Mostefa. Il s’occupait de toute la logistique (eau, casse-croutes, friandises…) et restait auprès de nous toute la journée, assis sur un petit banc en bois, sous le soleil accablant, nous surveillant de près et heureux de nous voir barboter dans l’eau. Il ne nageait jamais, se contentant de mouiller ses pieds.
Un homme formidable, simple, affectueux, généreux qui transpirait le bon air des montagnes des Aurès qui nous transmettait par sa chaleur humaine ! J’en ai gardé un souvenir impérissable !Repose en paix, cher oncle Si Mostefa.

Mourad Didouche, le grand frèredid


Mes liens avec Didouche Mourad étaient d’une toute autre nature. C’était plutôt des relations de «camaraderie», avec cette nuance que je n’étais âgé qu’entre6 et 9 ans à l’époque où il s’abritait chez nous, alors que lui était beaucoup plus âgé, entre 22 et 25.Cela faisait de nous une «amitié» de petit à grand frère. Nous le surnommions Si Abdelkader et nous étions devenus au fil du temps de chaleureux «copains» car il était très convivial.

Il blaguait tout le temps avec mon père, et il y avait une espèce de complicité naturelle en raison, probablement, du fait que c’étaient des «Algérois de vieille souche» aimant la plaisanterie et la «bonne chère». Je crois même qu’ils avaient un point commun : ils étaient tous les deux assez «gourmands».
Un soir d’été, Didouche, qui était en compagnie de Mechati, Ben M’hidi et Guerras discutant dans le patio, avait remarqué qu’il y avait des fruits suspendus dans l’arbre de notre voisine, Mme Ducreux, sage-femme très douce, affable et d’une gentillesse extrême.

Au cours de la nuit, il en avait «chapardé» quelques-uns qu’il a partagés avec ses compagnons. Bien entendu, la brave Mme Ducreux, qui s’en était aperçue, avait, courtoisement, demandé à mon père de mieux surveiller ses enfants. Elle était très loin de se douter que c’étaient de «grands garçons» qui avaient «fait le coup».Nous, nous étions trop petits pour le faire, mais cette bonne dame l’ignorait…Quelle drôle d’histoire !

Mon père qui était très familier avec Didouche lui demanda de freiner un peu sa gourmandise car, disait-il avec un ton fraternel, tu vas nous faire découvrir et tout le monde éclata de rire…Cette histoire m’a été confirmée par Mechati bien des années plus tard.
Un autre souvenir m’avait beaucoup marqué. C’était, également, un jour d’été et Didouche m’avait proposé de l’accompagner à la plage de notre quartier qui s’appelait Franco. Il aimait beaucoup cette plage pour nager, lui, le sportif. Il avait demandé la permission à mon père qui le lui a accordée sans hésiter. Quel bonheur et quel honneur d’aller me baigner à Franco avec Si Abdelkader ! J’avais d’ailleurs l’habitude d’y aller en sa compagnie, un peu comme avec un grand frère. J’en étais fier et me sentais en sécurité avec lui qui était bien «baraqué», comme on le disait dans le jargon d’autrefois.
A cette époque, il y avait des épidémies de toutes sortes et j’étais donc touché par une maladie du cuir chevelu qui nécessitait des soins quotidiens que ma pauvre mère me prodiguait avec peine vu l’état de pauvreté de notre famille (pas d’eau courante, ni salle de bains, aucune commodité…)

Mon crâne complètement rasé reluisant intensément dès que je sortais ma tête de l’eau et cela avait provoqué des moqueries racistes de certains jeunes énergumènes qui disaient en me voyant : «Regardez un peu cette pierre à luire !»Puis sur un ton plus menaçant, me disaient : «Eh là, petit yaloued, dégage de cette plage, elle n’est pas faite pour les bougnouls de ton espèce. Cette plage est interdite aux “Arabes”.»A ces mots, Didouche, qui était allongé sur le sable, s’est levé tranquillement et, s’adressant à ces jeunes «voyous» de son âge, leur a demandé de s’excuser.
Une vive discussion s’est engagée et l’atmosphère s’envenima peu à peu au point où Didouche décrocha deux coups de point violents sur leur visage qui a eu pour effet de les faire fuir rapidement. Puis il m’a demandé de ranger mes affaires et de le suivre au port, craignant probablement une descente de police qui le recherchait suite aux évènements de 1950 (découverte de l’OS). J’étais à la fois heureux de ce dénouement mais frustré par le fait de ne plus pouvoir nager au port, vu la profondeur de l’eau. Présentant mes appréhensions, il m’a annoncé :«Ecoute, Mohamed, aujourd’hui je vais t’apprendre à nager et tu vas le faire avec moi au port.»

Joignant le geste à la parole, il me jeta littéralement dans l’eau profonde en me demandant de me débrouiller pour rejoindre le quai. Pris de panique, j’ai ingurgité de nombreuses tasses d’eau en sanglotant. Didouche regardait la scène avec amusement et tout en me surveillant attentivement me disait : «Nage, nage, et rejoins le quai !» Péniblement, je rejoignais le quai et repris confiance en moi.
Il ne m’a pas laissé monter et me demanda de reprendre la nage jusqu’à ce que j’apprenne à me maîtriser, et c’est donc par cette méthode que j’ai appris définitivement à nager.

Message à mes jeunes compatriotes, en particulier les lecteurs de BabZman


J’ai longtemps hésité à divulguer ces anecdotes, dont je vous livre une première partie. C’est à la suite d’une rencontre avec Amina Zineb Maiche, journaliste, que j’ai pris la décision de le faire, convaincu par ses arguments et son insistance. J’espère que ces «histoires» toutes authentiques et vécues, même si elles sont parfois puériles, aideront nos jeunes d’aujourd’hui à mieux appréhender le sens du combat de nos aînés. Voyez-vous, j’ai appris à aimer mon pays en côtoyant ces grands personnages de notre histoire, qui étaient des gens simples, aimant profondément l’Algérie, alors qu’à l’école on m’apprenait que mes ancêtres étaient des «Gaulois».
Ils m’ont transmis cet amour que je conserve au fond de mon cœur près de 60 ans après…Mon souhait, c’est qu’à travers ces récits notre jeunesse comprendra le sens du combat et le bonheur de vivre libre dans notre Algérie bien aimée.


Mohamed Boukechoura, fils de Mourad

Ce témoignage est publié sur la revue papier de Babzman, édition spéciale révolution

 

 

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