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Le conte du jeudi : Le tailleur de pierres (Anedjar b ouvladh)

paysage-Kabyle_1017Amachahou rebbi ats iselhou. Ats ighzif anechth ousarou (Ecoutez, que je vous conte une histoire, Dieu fasse qu’elle soit belle, longue et se déroule comme un long fil).

Dans les contes kabyles le personnage de Teriel (l’ogresse)est presque toujours assimilé à méchanceté, peur et horreur. Dans l’histoire du terroir qui suit, on a affaire à une Teriel plus humaine que d’habitude…

Il y a très longtemps de ça, dans une certaine contrée, vivait un homme aisé. Il avait pour progéniture trois filles d’une inégalable beauté.

 Il maria l’aînée à un marchand d’huile (tajar n zith) la puînée à un marchand de blé (tajar g irden), et quand vint le tour de la cadette, les fiancés affluèrent chez lui, son père lui demanda alors son avis :

-« Il est grand temps de te marier, ma fille, Choisis le garçon qui te plait et il deviendra ton mari”.

Contre toute attente, la cadette lui dit:

-“Si tu veux faire mon bonheur, donne-moi au tailleur de pierres (anedjar b ouvladh). J’ai déjà parlé avec lui, et il me plaît. Il n’attend qu’un mot de moi, pour venir te demander ma main”.

Ce à quoi, le père lui répondit : 

-« Ma fille, éloigne de ton esprit cette idée farfelue et insensée, un tailleur de pierres c’est le déshonneur pour toute la famille. Il n’a rien à te donner, à part les poussières et les plaies causées par les aspérités des rochers, à soigner ! Réfléchis bien à ce que tu dis. Une telle union, je ne peux l’accepter. Je serai la risée de toute la contrée. C’est beaucoup me demander! »

Déçue par le refus de son père, la cadette décida de n’en faire qu’à sa tête. Elle quitta la maison, et se rendit à la carrière de pierres pour demander au tailleur de l’épouser. Le beau jeune homme lui dit:

-« Je veux bien t’épouser, mais je ne suis qu’un misérable sans richesse et sans avenir, et je ne peux rien t’offrir. Si je t’épouse tu vas souffrir. Il y a de meilleurs partis que moi. Va, laisse-moi ».

-« Si tu consens à m’épouser, le fait de t’aimer me suffira ! », dit-elle d’une vois assurée

Après avoir vainement tenté de la dissuader, le tailleur l’épousa malgré le refus catégorique de son père.

Le mariage non désiré par tous les membres de la famille provoqua la ruptures entre la cadette, ses parents et ses deux sœurs mariées. En guise de maison, le tailleur l’installe dans sa chaumière. Ils avaient pour seules nourritures : quelque figues pourries et de la galette d’orge difficile à avaler…

Le temps suivant son cours, la cadette n’avait même pas une seule goutte d’huile pour peigner et lisser ses cheveux rêches et hirsutes. A l’époque, l’huile d’olive était utilisée par les femmes pour soigner leurs cheveux et les rendre moins rebelles. Elle était tellement pauvre, qu’elle ne disposait même pas d’un fragment de miroir pour se regarder. C’est à thala (la source) dans le reflet, qu’elle se rendit compte qu’elle ressemblait beaucoup plus à une sorcière qu’ à une jeune mariée. Elle poussa alors un cri d’effroi, et se dit :

-« Si mon mari me voit ainsi, il va cesser de m’aimer! » Elle se rendit aussitôt chez sa sœur aînée, pour quémander un peu d’huile d’olive

– « efkiyid chouit n zith a outma aâzizzen ad’ segmagh imaniou iouargaz iou ghlalyen » (Donne moi peu d’huile, chère sœur, pour que je me fasse belle pour mon seigneur !)

-« Tu as épousé ce misérable tailleur contre notre gré, tu n’es plus ma sœur; Va-t-en d’ici ».

Quelques jours plus tard, il ne s’agissait plus de beauté, mais de nourriture. Le tailleur n’ayant pas été payé, il n’y avait rien à se mettre sous la dent chez lui. La cadette se rendit alors chez la puînée et lui dit :

– « efkiyid chouit b- aren a outma aâzizen our nesaî achou ara netch dayen ! Donne moi un peu de semoule, chère sœur, nous n’avons plus rien à manger ! »

-« Tu as épousé ce tailleur de pierres contre notre volonté ,assume ton choix. Je ne peux rien te donner. Eloigne-toi d’ici ! »

La cadette quitta les lieux, le cœur endolori, car personne ne voulait l’aider. Elle se dirigea alors vers les champs, ramassa des plantes comestibles (avazine) et les cuisina pour son mari. Malgré toutes les difficultés rencontrées, la cadette ne baissait pas les bras. Elle aimait toujours son mari et lui aussi .Mais l’amour ne pouvait vaincre la faim, et  si cela continuait, ils aillaient mourir d’inanition.

La cadette pleurait comme une source (thetsrou am thala). Quand son mari rentrait, elle s’essuyait les yeux, mais ils étaient  tellement rouges que son mari s’en aperçu. Il réfléchit alors à la situation, et se dit :

-3Je suis la cause de son malheur, moi misérable tailleur ! La seule façon de lui rendre le sourire et de la rendre heureuse, est de la quitter…Ne me sachant pas avec elle, ses parents compatissant, reprendront soin d’elle ! Dès demain, j’irai dans la forêt (Thiz’gi ou Amalou), et je me ferai dévorer par Teriel ! (l’ogresse). »

Le tailleur passa une nuit blanche aux côtés de son épouse. De temps en temps, il se mettait à penser à haute voix, et il la réveilla plusieurs fois. Elle ne put se rendormir, et essaya de comprendre ce que son époux pouvait bien vouloir se dire, à une heure aussi tardive…

A l’aube, contrairement à ses habitudes son mari ne prit ni son marteau (Thafdhisth), ni son burin (Amenqar). Il quitta sa chaumière à la douce, mais c’était sans compter sur la vigilance de sa femme qui s’était doutée que son mari mijotait quelque chose, qu’il voulait tenir secrète. 

Elle le suivit de loin, et le vit entrer dans la forêt. A un certain moment, elle marcha sur une branche morte. Le craquement le fit se retourner, et reconnaissant sa femme, il accourt vers elle et lui dit :

-« Anfiyi a illi-s medden Ayi thetch teriel negh ouaghzen ! Laisse-moi, ma chérie, laisse-moi me faire dévorer par les ogresses ou ogres de la forêt ! »

– « Il n’est pas question que tu te fasses dévorer seul, si telle est ma destinée, je vais me faire dévorer, moi aussi ! »

Ne pouvant lui faire changer d’avis, car il connaissait sa ténacité, le tailleur l’emmena avec lui.

Arrivés dans une clairière au milieu de la forêt, la femme du tailleur trop fatiguée tombe dans les bras de Morphée. Il veilla sur elle, quand soudain, il entendit des craquements et des bruits de pas pesants, se diriger vers lui. Dès qu’il aperçut Teriel (l’ogresse), il courut vers elle et lui dit :

– « Jida Teriel a thamet’touth elâli Etchiyi kan nekiniAnef i thine aâzizen felli Ats rouh d’i laman rebbi ! Grand-mère, ogresse, femme de bonne lignée, dévore moi seul. Epargne ma bien-aimée, laisse-la partir en toute sécurité « !

– « J’accepte ce que tu me dis, ferme les yeux ! » Le tailleur tremblait de peur, c’est sa dernière heure. Il restait dans cette attitude quelques instants mais rien ne se produit. Soudain, il entendit des beuglements et des bêlements autour de lui. Il ouvrit les yeux, et se rendit compte que l’ogresse avait disparu. A sa place, il y a des bœufs et des moutons. Il cria de joie et s’en alla réveiller sans ménagement son épouse, qui dormait profondément.

-« Ça y est, nous sommes riches ! Teriel ne m’a pas dévoré, et elle m’a laissé ses animaux en cadeaux !»

L’homme et la femme ramènent les bêtes à leur chaumière. Au bout de quelques années, les bêtes se multiplièrent pour devenir troupeau. Ils vendirent le surplus, et avec l’argent gagné, se construisirent une belle maison tout en s’achetant des terres.

Comme le monde ne cesse jamais de tourner, la roue de la fortune avait changé de place. Le marchand d’huile, mari de l’aînée avait fait faillite suite à la sécheresse, qui dura plusieurs années. Il en est de même du marchand de blé. Réduits à la mendicité, ils quémandaient en famille.

Un jour, l’aînée et la puînée se rendirent à la maison du tailleur méprisé, et demandèrent l’aumône à la maîtresse de la maison. En venant à leur rencontre, leur sœur cadette les reconnu. Elle les toisa du regard, puis  leur dit :

“Âslama enk’ount a isma Chedda eth âdda Dounith thedouir am rouda ! D’laouan andar d’i lanha. Bienvenue, mes chères sœurs. Les épreuves sont terminées. La roue a tourné C’est le moment de vivre la paix ! »

En reconnaissant leur sœur cadette, les deux sœurs marquées par la vie, demandèrent pardon, en leur nom et au nom de leurs parents décédés.

En quelques heures, les différences se sont aplanies, contrairement à elles, la cadette était disposée à leur venir en aide jusqu’à ce qu’elles puissent redémarrer dans la vie. Les sœurs se réconcilièrent…

Our Kefount Eth h’oudjay, inou our kefoun ird’en tsenzine. As n’elaid anetch askoum ts h’emzine ama ng’a thiouamz’iz’ine (Mes contes ne se terminent comme ne se terminent blé et l’orge. Le jour de l’Aïd nous mangerons de la viande et des pâtes jusqu’à avoir des pommettes rouges et saillantes.

 

Lounès Benrejdal

la dépêche Kabyle 1/09/2008

 

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1 commentaire

abdelmalek 6 juin 2014 at 12 h 58 min

C’EST UN JOLIE CONTE MERCI CAR ON APPRENDS DES MOTS AMAZIGH
cela on prend notre langue avec plaisir

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