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La montée en puissance de l’imagerie coloniale, au XIX e siècle

imagerieLa première classification des êtres humains a lieu dès le XVIIIe siècle. En 1758, le naturaliste C. Von Linné distingue 4 races hiérarchisées : les Européens, les Américains, les Asiatiques et les Africains. Buffon, quelques années plus tard considère que le blanc est la couleur originelle de l’homme, que les autres races ne sont que le produit d’une dégénération.

Les scientifiques s’appuient sur une multitude de critères soi-disant objectifs, en se basant sur de nouvelles disciplines (anatomie comparée, ethnologie et anthropologie physiques, craniométrie, céphalométrie, anthropométrie, phrénologie…). Les critères autrefois utilisés par les scientifiques pour comparer l’homme et l’animal vont désormais être appliqués aux groupes humains afin de les hiérarchiser. Au début du XIXe siècle, les transformistes établissent un schéma mettant en forme la prétendue évolution du singe à l’homme et dans lequel les races « inférieures » se voient attribuer le rôle de chaînon intermédiaire.

Durant le XIXe siècle, les études censées établir une proximité physique entre les sauvages et les primates se multiplient (mesure de l’angle facial, de la taille du cerveau, de la forme du crâne, des mâchoires et des os du squelette. Un préjugé circule prétextant que « les races au crâne comprimé et déprimé sont condamnées à une éternelle infériorité ». Ces classifications réalisées vont servir de justificatif pour les colonisateurs européens pour annexer les terres de ces « races inférieures ». L’expérience de leur rencontre avec les populations se fait manière très partiale : les autochtones sont perçus comme des sauvages incultes et inférieurs en tous points de vue aux colons. Un racisme colonial basé sur des arguments pseudo-scientifiques se met en place et les politiques eux-mêmes vont avoir recours à l’autorité scientifique pour légitimer leurs décisions. Ces études devaient également permettre aux dirigeants des pays colonisateurs de savoir avec quelles populations ils pouvaient s’associer, lesquelles ils pouvaient civiliser (opposition Arabe/Berbère).

 

Les « spectacles » de la honte

 

Ainsi, dès le début du XIXe, on fait arriver des colonies des hommes et des femmes afin de les exhiber comme des sauvages, des barbares aux yeux des européens. On les affublait de costumes très simples (parfois seulement un collier d’ossements) et on les plaçait sur une scène, entourés de chaînes censées protéger les spectateurs de leur dite « cruauté bestiale ». Ces spectacles devaient renforcer les préjugés et les stéréotypes déjà bien implantés dans l’imaginaire occidental, et  rassurer les européens dans leur « normalité ». Les promoteurs n’avaient qu’une tâche : prouver au reste de la population que ces êtres étaient dépravés, sans pudeur, sans morale.

 

Vénus Hottentote

 

L’histoire de cette femme traduit parfaitement l’avidité des européens pour ces êtres sauvages. Saartjie Baartman, surnommée la « Vénus Hottentote », nait en 1789 en Afrique du Sud où elle devient l’esclave d’un afrikaner. En 1810, elle est amenée à Londres où elle est vendue comme « bête de foire » et devient rapidement un véritable phénomène, de par sa morphologie. Elle est exposée ensuite en Hollande puis à Paris en 1814 où elle devient un véritable objet sexuel (prostitution, soirées privées,…). Elle finit par sombrer dans l’alcoolisme. En 1815, un professeur de zoologie au Muséum d’Histoire Naturelle demande à pouvoir examiner les « caractéristiques distinctives de cette race curieuse » : peu de temps plus tard, un rapport confirme que son visage est comparable à celui d’un orang-outang et ces fesses à celles d’un mandrill. Elle est tenue comme preuve d’infériorité des races et à sa mort, elle est disséquée (organes sexuels, cerveau conservés) et on fait un moule de se corps. « La Vénus hottentote conquit donc sa renommée en tant qu’objet sexuel, et la combinaison de sa bestialité supposée et de la fascination lascive qu’elle exerçait sur les hommes retenait toute leur attention ; ils avaient du plaisir à regarder Saartjie, mais ils pouvaient également se rassurer avec suffisance : ils étaient supérieurs. » Stephen Jay Gould – Le Sourire du flamant rose

Les zoos humains

 

C’est réellement durant les années 1870 que les français vont découvrir les peuples de leurs colonies au travers de zoos humains. Les dénommés « indigènes » étaient entassés dans des enclos, en présence d’animaux exotiques (autruches, singes, girafes,…). Ils étaient exposés totalement ou à demi-nus afin de les rapprocher un maximum des animaux qui les entouraient. On assiste alors à une négation totale de l’Autre, séparé des dit « civilisés » par des barrières afin de marquer une distance (réelle ou symbolique) entre ces deux mondes.

Les matins, les « indigènes » servaient de sujet d’étude aux scientifiques qui voyaient en eux une opportunité pour valider leurs thèses évolutionnistes ; l’après-midi, ils étaient donc exposés dans leurs parcs aux français avides de sauvagerie; le soir, certains étaient contraints de se donner en spectacle dans des music-halls (ex : Zoulous aux Folies-Bergère, Dahoméens au Casino) où, à travers leurs danses, ils exposaient leur barbarie. C’est à travers une telle exhibition des corps, jugés comme étranges et monstrueux, que les européens vont plus facilement ancrer les préjugés racistes.

Les villages « indigènes »

 

Peu à peu, ce sont de véritables villages « indigènes » qui se créent dans l’enceinte d’expositions coloniales. À l’image des zoos humains, les villages noirs reconstituent le même univers carcéral dans lequel sont exposés les colonisés. « Les villages nègres (ou noirs) » sont le prolongement aseptisé des zoos humains de la période précédente, et à la vision violemment humiliante des zoos se substitue une objectivation moins brutale du colonisé, une sorte d’instrumentalisation de son image pour répondre à une nouvelle attente des visiteurs. Il reste inférieur, certes, mais il est domestiqué, et « on découvre chez lui des potentialités d’évolution qui justifie la geste impériale« . Ces villages étaient ouvert à tout public, sept jours sur sept, du matin jusqu’à 22h et les « indigènes » ne pouvaient en aucun cas en sortir. Des barrières les séparaient toujours du public, mais leur hauteur diminuait, ces « indigènes » n’étant plus considérés comme des purs sauvages mais comme des êtres en voie de civilisation.

Les villages ne correspondent en aucun cas une reproduction fidèle des villages indigènes, car formés à partir de l’imaginaire des colons. Ces enclos pouvaient contenir entre 50 et 200 hommes. Ainsi, des familles entières étaient amenées d’Afrique, souvent avec des femmes enceintes, dont les enfants pourraient être vendus comme attraction supplémentaire, permettant aux impresarios de faire augmenter les prix d’entrée. 

Ces villages disparaîtront progressivement à la fin des années trente, par un manque d’intérêt croissant, le cinéma étant parvenu à s’imposer dans le domaine du spectacle… A suivre 

Mira B.G

 

Source :

  1. « L’apothéose coloniale » : regard sur l’imagerie officielle de l’Exposition coloniale de 1931 à Paris, dans le cadre du cours : Images de colonies : analyse historique, Département des sciences historiques Faculté des lettres Université Laval
  2. C.-R. Ageron : Les lieux de mémoire. La République (dir. Pierre Nora) (1984), éd. « Quarto » Gallimard, 1997, p. 493-515
  3. Témoignage  L. Bertrand, la revue des Deux Mondes, 15 juin 1931
  4. Lacoste « la colonisation maritime en Algérie« , collection du centenaire, Paris 1931

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