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La légende de Sidi Flih, partie III : d’élève à maître

ahmFlih S’en alla quérir le savoir, pourvu de la modique somme que son père lui avait donné avant son départ…

Maigre fortune sans doute, mais qu’à cela ne tienne ! Au bout de cette route, longue et éprouvante, il pourra par la grâce et l’aide du Seigneur, apaiser sa soif de connaissances en s’abreuvant jusqu’à satiété aux sources mêmes du savoir.

Cette perspective enchanteresse atténuait la tristesse du départ et lui ferait à coup sûr supporter l’absence de ceux qu’il aimait par-dessus tout, Son brave père  Sidi Mohammed Benmerouane qui lui avait révélé  tant de merveilles, sa tendre mère Naima, et l’aïeule dont les cils semblaient toujours perlés de larmes qui ne descendaient jamais sur ces joues ravinées.

Il demeura ainsi à l’étranger jusqu’à l’âge de vingt ans, fréquentant avec assiduité la célèbre Mosquée de Kairouan, se perfectionnant dans l’art du tafsir et de la théologie. A la fin de ses études, il avait le sentiment que son instruction était complète. Ainsi se trouva t-il une fois poussé à acquérir quelque aréopage qui répondait à son impérieux besoin d’érudition et de savoir. Il fit route cette fois-ci toujours vers l’Est, vers la lointaine Egypte.

Là, il  étudia trois années dans la célèbre mosquée ‘’El Azhar’’  et ses effort se virent couronnés du titre éminent de Docteur en Théologie. Pour achever ce brillant parcours et rendre grâce à la volonté suprême qu’il l’avait rendu possible, Flih décida d’accomplir le rite dont rêve tout musulman : le pèlerinage à la Mecque. Il y séjourna une année entière.

Durant tout le temps de son absence, Flih n’oublia jamais El-Djazair, son pays natal, et il pensait sans cesse au jour où, en homme accompli et sage, il reviendrait sur les lieux de son enfance pour professer.

Sa nostalgie ne tarda pas à se muer mystérieusement en lancinante inquiétude. En effet, il se mit toutes les nuits à faire d’étranges rêves. Ses voyages nocturnes étaient tristes et tourmentés. Ils le ramenaient immanquablement vers la Casbah, vers la Douéra où des êtres chers se languissaient de lui. Il essaya  de se persuader qu’il s’agissait simplement de pénibles images qui hantaient son sommeil et qui disparaîtraient comme elles étaient venues.

Mais son malaise était tenace et il ne pouvait plus le dissiper. C’est ainsi qu’il décida de retourner dans la demeure ancestrale. Les préparatifs du départ se firent avec une fébrilité mêlée de joie.

Sur la route il médita longtemps sur cette destinée qui l’avait, tout jeune encore et sans expérience, conduit en des contrées lointaines à la quête des secrets de la création et des lois divines. Il fit le serment de consacrer le reste de sa vie à ce qui était juste et de se tenir aux côtés des plus faibles.

Son retour fut accueilli avec une joie indescriptible. Naima qui, quelques années auparavant, avait serré tendrement contre son sein l’enfant qui partait, était impressionnée par l’homme qui se tenait devant elle et son étreinte se mêla d’émerveillement et de respect.

Quant à Sidi Mohammed Benmerouane, il avait bien vieilli et les rêves de Flih s’avérèrent prémonitoires. Le sage père était malade et ses forces avaient déclinées. La joie du retour s’en trouva ternie.

Tiraillé par l’impatience de revoir l’aïeule, Flih grimpa le petit escalier en colimaçon pour embrasser Lalla Taouès qui vivait toujours dans la pièce du minzah. La grand-mère ne put retenir ses larmes qui inondèrent sont visage. Le jeune homme l’étreignit avec la douceur et l’attachement qu’il lui avait manifesté très tôt et resta longtemps auprès d’elles, lui racontant les étapes de son long périple.

La minuscule chambre s’éclaira au récit de ce fabuleux voyage, s’anima au souvenir des rues pittoresques de Tunis et grouillantes du Caire, et s’emplit de ferveur à l’évocation du tombeau du prophète, que le Salut de Dieu soit sur lui .

La grand mère vivait recluse depuis si longtemps. Elle n’avait pour toute visite que celle de Naima qui tous les soirs, lui montait son repas sans viande, et celle de son fils, Sidi Mohammed Benmerouane  qui passait l’embrasser et lui souhaiter une bonne nuit. La vie ‘’ d’en bas ‘’ lui manquait, mais elle ne s’en plaignait jamais. Le retour de Flih, sa tendresse et ses merveilleux propos, pleins d’images et de vers, furent pour elle un tendre et caressant rayon de soleil qu’elle gardait précieusement au fond de son cœur usé par le poids des ans.

Une fois passée l’émotion des retrouvailles, on célébra le retour de l’enfant prodige avec un grand faste, et tous les voisins furent conviés à la Wâada, cette grande fête où le couscous et généreusement servi en reconnaissance à la clémence divine qui avait permis que le fils aimé revienne de cette odyssée saint et sauf.

Sidi Mohammed Benmerouane, qui s’affaiblissait sans cesse, souhaitait du fond de son cœur de ne pas quitter ce monde sans voir son fils marié. Naima s’en alla donc faire sa demande auprès de la  famille d’un vénérable tisserand rue de la Casbah.

 Celui ci, mesurant la valeur du fils à celle du père accorda sans la moindre hésitation  la main de sa  fille la jolie Mériem, au jeune prétendant. Un mois après, on célébra le mariage.

Le vieux père, cédant tout naturellement sa chambre au jeune couple, s’installa avec Naima dans la chambre qui avait été, des années auparavant, celle de Lalla Taouès avant d’être transformée en salon.

 Quant à la petite pièce à l’étage supérieur, elle reçut les affaires de la mariée. Peu de temps après, l’aïeule, Lalla Taouès, s’éteignit comme elle avait vécu, discrètement emportant avec elle son triste secret. On l’enterra dans le Cimetière d’El-Kettar, et  sera bientôt rejointe en sa dernière demeure par Sidi Mohammed Benmerouane, qui ayant revu son fils une dernière fois et l’ayant marié, n’attendant plus rien s’en alla serein et reconnaissant en la miséricorde divine.

Flih succéda à son père. On l’appela désormais Sidi Flih en hommage à l’ascendant notoire, au vaste savoir de bon héritier, et par respect à son titre de Hadj. Sidi Flih agrandit et modernisa la petite école coranique. Il y enseigna outre le Coran, la géographie et l’astronomie…

A suivre!

B. Babaci

écrivain chercheur en histoire 

  1. Illustration : Sculpture d’Ahmed Bouchari, « La Casbah d’Alger en 1830 »

 

 

Retrouvez les partie I et II sur babzman.com

https://www.babzman.com/2014/la-legende-de-sidi-flih-partie-i-la-naissance-du-saint-homme/

https://www.babzman.com/2014/la-legende-de-sidi-flih-partie-ii-leleve/

 

 

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