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Extrait revue Babzman – La mona, une brioche voyageuse

maxresdefaultUne bouchée d’histoire

La mona est une gourmandise briochée, au goût orangé. Cette douceur savoureuse a beaucoup voyagé. Elle constitue un fil conducteur de part et d’autre de la Méditerranée, ralliant les cultures et les régions qui la partagent. La mona est parvenue à nos fourneaux avec la conquête espagnole de Mers El-Kebir, à Oran,et son appellation nous renvoie à diverses lectures, à savoir celle de l’Histoire, du dialogue des religions et du métissage.

 

Très prisée en Oranie, la mona brioche,apportée par la diaspora espagnole, se distingue par sa forme ronde en couronne, ornée d’un œuf dur et parfumée de zeste d’orange. Elle demeure un gâteau identitaire, et certains boulangers perpétuent la tradition de sa préparation. Forte de son succès, elle finit par conquérir d’autres régions comme Blida et Alger.

Étymologie et contexte historique

La signification du vocable espagnol la mona nous renvoie vers plusieurs hypothèses étymologiques. Selon l’une d’entre elles,émise par l’historien Henri-Léon Fey, auteur de Histoire d’Oran avant, pendant et après la domination espagnole (1858),cette brioche, préparée à l’occasion de la célébration de la fête religieuse de Pâques, tirerait son appellation du nom du Fort Lamoune à Oran (une dérivation de Castillo de la Mona– Château de la Guenon, en français). Ce fort fut bâti par le marquis Don Diego de Comarez, et la population d’origine hispanique avait pour coutume de s’y rendre pour cette cérémonie.

Mais cette hypothèse fut réfutée par Henri Chemouilli, juif pied-noir d’Algérie et professeur de lettre set de philosophie à Paris,qui propose d’établir une analogie entre mona et mimouna, ce qui signifie dans les langues sémitiques arabe et hébreux l’«heureuse». C’est l’une des appellations de la Pâque juive.

Une troisième hypothèse tend vers une origine andalouse de ce mot. Mona serait donc issu de l’arabe «mu’na» qui signifie provisions ou vivres, terme usité dans la Péninsule ibérique au temps d’ Al-Andalous.

De la sorte, l’usage du vocable «mona» attesté en Andalousie nous renvoie donc vers une origine antérieure à l’arrivée des Espagnols en Algérie. A cet égard,«la mona de Pascua (Pâques en espagnol)» de Valence serait la grande sœur de la mona oranaise dont elle partage les spécificités, à savoir la forme en couronne mais, aussi, le goût du zeste d’orange si prononcé et si relevé. Il convient de préciser que l’arrivée des Valenciens en Oranie et, particulièrement, à Oran s’effectua dès l’an 1505, durant les expéditions espagnoles contre Mers El-Kebir lors de la Reconquista d’Al-Andalous.

«El día de la mona»

En Algérie, et plus précisément en Oranie, les réjouissances de Pâques de la communauté des immigrants espagnols chrétiens furent ponctuées par un pèlerinage, à pied, de Santa Cruz, près du fort Lamoune, et au Murdjadjo. Cette tradition s’étendit à l’ensemble des émigrants ibériques mais aussi aux juifs et aux musulmans. Rappelons que Youm Kipour juif, Pâques chrétienne et Achoura pour les musulmans sont, en effet, différentes appellations pour désigner la même célébration: la délivrance du Prophète Moise du joug des Pharaons ; elle correspond au dixième jour du mois lunaire de Muharam.

Ferdinand Duchêne, dans son ouvrage intitulé Ceux d’Algérie, relate les faits suivants : «Le lundi de Pâques et le lundi de Pentecôte, tous les Algériens, unis au nom du même rite, communient en une fraternité de toutes races, de tous langages ; c’est ce qu’on appelle “faire la mouna”.»

Après s’être installée en Méditerranée, la mona pérégrine de nouveau, en conservant ses titres de noblesse. Cette fois-ci, elle s’établit en Argentine. Le 31 août de l’an 1794, une ville fut baptisée San Ramon de la Nueva Oran par le lieutenant général Ramon Garcia de Léon, né à Oran, en Algérie. Cette nouvelle ville Oran fut peuplée par les Hispaniques qui quittèrent l’Oranie en 1792 suite à la défaite de l’Espagne face au dey d’Alger, et qui ramenèrent dans leurs valises leurs cultures et savoirs et, bien entendu, la moins fameuse mona !

De nos jours, la mona demeure un héritage de la présence hispanique en Algérie. Enrichie de diverses influences, elle s’est popularisée dans plusieurs régions et demeure très appréciée lors des sorties familiales et retrouvailles. Peu onéreuse et copieuse, elle incarne la baraka d’antan pour les petites bourses gourmandes.

Leila A.

Extrait de la revue n°5 de Babzman 

xEl día de la mona en espagnol signifie le jour de la mona

Bibliographie:

  1. R. Jorge., LaMonaouMouna, délice œcuménique,Cercle algérianiste,2012.
  2. Henri Chemouilli, Une diaspora méconnue : les Juifs d’Algérie, Imp. Publications, Paris
  3. Duchêne Ferdinand,Ceux d’Algérie,Types et Coutumes.Paris, Horizons de France, 1929.
  4. Alfred Salinas,Oran la Joyeuse – Mémoires franco-andalouses d’une ville d’Algérie. 
  5. Mouhamadou Bamba Ndiaye,Sénégal: Tamkharit (ou Achoura) ou la version islamique de la Pâquejudéo-chrétienne.AllAfrica archiveCopyright © 2008 Sud Quotidien
  6. FEYHenriLéon, Histoired’Oran avant, pendantetaprèsladomination espagnole. Oran. Typographie Adolphe Perrier, 1858.

Illustration:

  1. Brioche la mona

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