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Conte – Constantine et ses légendes…

RhummelLe Rocher était habité par des maîtres féroces dont la sauvagerie semble conditionnée par la nature du site hérissé de rocs surplombant l’abîme où se déchaîne la furie des eaux. Le décor ainsi planté, l’imagination fit le reste pour faire de Constantine un lieu où fleurissent des légendes la plus invraisemblable.

Aziza et l’ogre du Rhumel 

Cette histoire se racontait dans les demeures constantinoises sous le règne turc. Elle met en scène un homme que la nature a défavorisé pour en faire un monstre que tout le monde fuyait. Ali, s’est ainsi qu’il s’appelait, était borgne et son nez avait été ravagé par la variole. Il était solide comme un roc, avec une carrure impressionnante.

La répulsion qu’il inspirait au gens, fit de lui un sauvage. Quand il ne mendiait pas à la porte de la mosquée, il se réfugiait dans des gorges du Rhumel qu’il connaissait dans le moindre recoin. Il s’y sentait chez lui. On le voyait parfois perché sur des rocs que l’on eût crus accessibles aux seuls vautours. Ignorant le vertige, il éprouvait là, une ivresse farouche qui comblait son âme ténébreuse. Il se plaisait à humer les relents des proies en décomposition, qui en émanaient et à écouter les étranges bruits qui les remplissaient. Un souterrain non loin du Pont du Diable, lui servait de gîte et de cachette où il entassait son butin, car Ali était aussi un voleur des plus habiles. Il était surtout un tueur qui n’éprouvait aucun scrupule à égorger ou à étrangler ceux qui lui résistaient.

Quand aux femmes qui détournaient les yeux de sa laideur avec effroi, elles lui inspiraient une envie morbide, maniaque et jamais apaisée, malgré les satisfactions fréquentes qu’il tirait d’elles chaque fois qu’une de ces malheureuses tombait entre ses mains.

Son antre recelait des richesses inestimables : bijoux en or et en argent, vêtements brodés, monnaies trouvées dans les ruines ou dans les tombes romaines et qu’il entassait dans un coffre avec des bourses pleines d’argent dérobées aux visiteurs de la grande mosquée. Mais l’antre d’Ali abritait encore d’autres trophées dont la contemplation le plongeait dans un plaisir macabre : c’étaient les cadavres de suicidés plus au moins momifié qu’il avait ramassés aub fond des gorges et dont il tapissait les parois de sa demeure. Certains d’entre eux étaient ses propres victimes. Il y en avait de toutes conditions : jeunes, vieux, anciens et récents, des hommes et des femmes. Son loisir était de guetter aux abords des gorges avec l’oeil avide des vautours nichant comme lui, dans les crevasses de l’abîme.

Un jour, il aperçut une fillette qui cueillait paisiblement des fleurs au bord de l’abîme en chantonnant. Ali trouva tout cela si ravissant qu’il en oublia ses instincts sanguinaires.

La fillette vit surgir de l’abîme la hideuse figure de l’ogre. Elle ne poussa pourtant pas le cri de frayeur que ce dernier attendait, mais elle le regarda, très étonnée, de ses grands yeux. Les mains d’Ali, au lieu de se nouer autour du cou de l’enfant, se mirent à trembler.

-« Comment t’appelle-tu, belle enfant ? questionna-t-il d’une voix mal assurée. »

-« Aziza, dit la petite, après quoi elle se remit à cueillir des fleurs. »

-« C’est un très joli nom… balbutia Ali tout étonné de se sentir sans volonté et sans force devant cette fillette qui ne semblait pas voir sa laideur… Veux-tu venir avec moi dans mon logis ? Il y a là-bas des fleurs bien plus belles que celles-ci et je t’y ferai voir de bien jolies choses. »

La fillette regarda l’ogre en lui demandant avec curiosité :

-« Quelles jolies choses ? « 

-« Des bracelets d’argent, des bagues avec des pierres brillantes rouges, bleues et vertes ! Car je suis riche tu verras… et j’ai aussi beaucoup de belles poupées dans mon logis. »

-« Des poupées ! s’écria la fillette en battant des mains, oh, je veux bien ! »

Et Ali, l’âme agitée de toutes sortes de pensées étranges et contradictoires, prit la petite dans ses robustes bras et l’emporta dans sa tanière. En y pénétrant, Aziza, pétrifiée de stupéfaction devant les poupées  momifiées, tapissant les murs, ne vit pas le rictus de joie mauvaise avec laquelle Ali se retourna vers elle après avoir solidement barricadé son antre avec des poutres calées dans l’entrée.

-« Et si je t’étranglais maintenant comme j’ai étranglé ceux qui sont là ! Vois-tu, comme cela ! »

Et il approcha ses mains du cou de la fillette. Aziza regarda son ravisseur avec de grands yeux effrayés. Elle n’arrivait pas à comprendre. D’un geste brutal, Ali la poussa sur son grabat.

-« Non, tu ne peux pas me tuer, dit alors Aziza d’une voix très calme et confiante, parce qu’Allah qui te voit, te punira et te mettra en enfer. »

Ali hésita. Il lui arrivait encore, certains jours, de craindre Dieu quand la voix du Muezzin de la mosquée de Sidi Rached éveillait l’écho des gorges. Un frisson parcourut son âme scélérate.

-« Ah tu crois qu’Allah…me voit… et qu’il pourrait m’envoyer en enfer ? Après tout, tu a peu-être raison, petite !  Soit ne pleure pas, je veux bien ne pas te tuer, mais à une condition : tu resteras avec moi, toujours, et tu seras ma petite épouse. »

Aziza en avalant ses larmes, acquiesça d’un mouvement de tête. A parti de ce jour, une vie nouvelle commença pour Ali, l’ogre des gorges du Rhumel. La petite se montra obéissante. Cependant craignant que Aziza ne s’échappât durant ses absences, il ne la quittait jamais sans répéter de terribles menaces et, de l’extérieur, il n’oubliait jamais de barricader solidement son repaire. Aziza passait son temps à préparer les repas, à ses parer des bijoux accumulé dans un grand sac. Elle s’habitua peu à peu aux « poupées » grimaçant aux murs. Elle leur donna des noms et il lui arrivait de leurs parler comme à des personnes vivantes. L’idée de s’évader hantait pourtant de plus en plus son esprit, mais en imaginant la colère de son redoutable seigneur et maître, elle la chassait aussitôt.

Un jour où elle fêtait la fin du ramadan, Ali était parti de bon matin mendier à la porte de la grande mosquée. Les gorges se firent toutes sombres et soudain un terrible fracas se répercuta sur les rochers. Les éclairs emplirent la caverne de leur lumière éclatante.

Tout à coup, les eaux du Rhumel se mirent à gronder et à monter dangereusement. De gros blocs de rochers et des troncs d’arbres s’entrechoquaient avec des bruits angoissants et toujours plus proches. Soudain un énorme tronc d’arbre défonça les poutres qui fermaient la porte.

Épouvantée, Aziza ne réalisa pas tout de suite qu’elle était libre. Sur les flots déchaînés qui emplissaient les gorges en grondant, elle vit arriver un âne, les fers en l’air. Elle n’hésita plus et saisissant la queue de l’animal qui passait tout près elle se laissa entraîner. Au centre des gorges, un peu en amont des bains de Salah Bey où le torrent s’engouffrait avec un mugissement assourdissant, un gros figuier tendait ses branches. Aziza s’y agrippa et se hissa sur une roche en escalier. Elle était sauvée.

Rentrée dans la maison où on l’avait cru morte depuis longtemps, elle conta son étrange aventure. La police beylicale fut avertie et à la décrue des eaux, une troupe de janissaires alla cerner le repaire s’Ali. Lorsqu’il s’aventura pour voir ce qu’était devenue sa petite épouse, il fut pris sans difficulté. La justice du Bey fut expéditive : le soir du même jour, Ali fut conduit au sommet du Kef Chkara d’où, en implorant dans un grand cri la miséricorde d’Allah, il se précipita lui-même dans l’abîme avant que l’on ne l’y pousse pour exécuter la sentence du Bey.

Kef Chkara est un lieu d’où on balançait dans le vide, après un procès sommaire, les prisonniers gênants enfermés dans un sac de jute (chkara) d’où le nom du lieu.

Les hommes ont pu être les témoins de phénomènes naturel à l’origine de la création du site. Il n’est pas étonnant qu’ils en aient laissé des traces dans deux légendes locales qui, souvent se terminent par l’effondrement spectaculaire dans l’abîme d’un palais perché en haut de la falaise de la Casbah de Constantine.

 

Source : Contes du terroir algérien – Editions Dalimen 

Image à la une :  Clair de Lune au Fond des Gorges du Rhumel.

 

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