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Conte – Aïcha Bent El-Hattab – Suite et fin – Les malheurs de Aïcha

Edmund-Dulac—«  Depuis que je suis partie, je ne sors ni ne rentre. Je ne vois personne d’autre que mon esclave Baba Mansour. Et la nuit, j’entends une voix qui ordonne : « Baba Mansour ! Soulève les tentures et souffle sur les chandelles !» C’est alors que les lumières s’éteignent pour que mon mari me rejoigne. Il disparaît avant le lever du jour et je ne le vois jamais. Je ne sens que sa présence auprès de moi. Mais je suis heureuse et rien ne me manque. »

Jalouses, les femmes lui donnèrent une lampe à huile et lui recommandèrent :

—«  Cette fois, dès ton retour, essaye de voir cette chose qui se couche près de toi en allumant cette lampe. Ainsi tu verras si c’est un Djinn ou un Ghoul (ogre). »

Un jour, le ciel s’assombrit et un violent orage éclata. Le tonnerre, le vent, la pluie, la grêle et la neige s’abattirent sur la terre. On aurait dit le déluge. Aucun être vivant ne resta dehors. Qatar Ben Matar se présenta sous sa forme de mendiant et sa voix s’éleva :

—«  Au nom de Dieu ! L’aumône ! »

Elle sortit comme la première fois pour lui porter à manger et il lui demanda de fermer les yeux. Elle obéit et se retrouva dans sa maison. La vie reprit son cours et, un jour, elle se souvint de la lampe. Elle mit une mèche dans l’huile, la prépara et attendit. La nuit venue, Qatar Ben Matar se glissa à côté d’elle. Elle patienta et lorsqu’elle l’entendit ronfler, elle se saisit de la lampe et l’alluma. Elle regarda et vit sur son thorax sept clefs et des portes. Elle saisit une clef et ouvrit une première porte qu’elle franchit. Elle découvrit des brodeuses qui brodaient, des couturières qui cousaient… Elles confectionnaient des caftans et des robes au fil d’or. Elles ne cessaient de broder, de coudre, d’ornementer, de ranger et de plier. Elle les interrogea :

—«  Pour qui préparez-vous tout cela ? »

 —«  C’est pour Aicha Rwiya sobri chwiya. C’est pour toi Aïcha Rouia (la fiancée), il te faut juste patienter un peu. »

Elle sortit en refermant cette porte. Elle prit la deuxième clef et ouvrit la deuxième porte. Elle découvrit cette fois de nombreux joailliers, orfèvres et bijoutiers. Chacun ciselait, sertissait et fabriquait des bracelets, des bagues, des colliers. Elle s’exclama :

—«  Pour qui fabriquez-vous tout cela ?

— « C’est pour Aicha Rwiya sobri chwiya. C’est pour toi Aïcha Rouia (la fiancée), il te faut juste patienter un peu. »

Elle s’en alla et emprunta la troisième porte. Elle se retrouva dans un autre monde où des maçons, des charpentiers, des peintres et des décorateurs construisaient des palais plus beaux les uns que les autres. Elle s’étonna encore :

—« Pour qui tout cela ? »

—«  C’est pour Aicha Rwiya sobri chwiya. C’est pour toi Aïcha Rouia (la fiancée), il te faut juste patienter un peu. »

Elle repartit. Mais au moment où elle sortait de cette troisième porte, Qatar Ben Matar se réveilla. Il disparut sur-le-champ ainsi que tout ce dont il l’avait entourée. Malheureuse, elle décida :

—«  Je vais errer à la recherche de mon fiancé. »

De pays en pays, elle marcha tout en demandant autour d’elle :

— « N’auriez-vous pas vu Qatar Ben Matar ? »

On lui répondait :

—«  Qatar Ben Matar devait se marier, seulement sa fiancée a rompu le serment et, curieuse, elle est allée ouvrir les portes interdites et elle l’a tué. Les Djinns l’ont depuis précipité dans un monde qui n’est pas d’ici. »

Elle reprenait la route, errant. Un jour, épuisée, elle s’arrêta près d’une source. Elle se désaltéra et s’allongea pour se reposer quand elle entendit deux colombes parler. L’une disait à l’autre :

—«  Qatar Ben Matar devait se marier, seulement sa fiancée a rompu le serment, et, curieuse, elle est allée ouvrir les portes interdites. Elle l’a tué. Les Djinns l’ont précipité dans un monde qui n’est pas d’ici. Il est enterré dans ce pays qui est là-bas. Mais si sa fiancée le recherchait, elle pourrait le ressusciter. Il lui faudrait trouver sa tombe pour l’éventer nuit et jour pendant quarante jours. Il ne faudrait pas qu’elle se laisse emporter par le sommeil. Il ressuscitera alors et épousera celle qu’il verra en ouvrant les yeux. »

Aïcha entendit la conversation des colombes et prit la direction indiquée. A force de chercher et grâce aux indications des colombes, elle finit par découvrir le pays. Elle trouva la tombe, s’installa à la tête de la sépulture et se mit à éventer. Elle éventa, éventa sans relâche, en luttant contre le sommeil qui grandissait. Au quarantième jour la tombe bougea. C’est à cet instant que le sommeil triompha et elle sombra. Qatar Ben Matar se réveilla, se releva et regardant autour de lui, trouva une négresse qui venait d’arriver. Il l’emmena avec lui et l’épousa. Lorsque Aïcha se réveilla, elle se retrouva seule comme par le passé. Elle se remit à pleurer, à errer et chercher en interrogeant les gens autour d’elle. Elle finit par trouver le palais où vivait Qatar Ben Matar avec sa femme. Elle se fit engager comme bergère. La négresse, heureuse, ne manquait de rien avec un mari comme Qatar Ben Matar jusqu’au jour où on rapporta à ce dernier : — Une femme d’une grande beauté est là. Elle garde le troupeau de chamelles et elle est arrivée en te cherchant. Il alla lui rendre visite et l’interrogea :

— « Dis-moi femme que cherches-tu ? »

 — « Sidi ! Monseigneur ! Permets-moi de tout te raconter. »

 — « Je t’écoute, dit-il intrigué. »

Elle lui raconta tout depuis le commencement : comment elle avait ouvert les portes, comment elle avait entendu la conversation des colombes, comment le sommeil l’avait saisie au quarantième jour et tout le reste.

—«  Oui, c’est bien moi, dit-il ». Et il appela la négresse :

—«  Dis ! C’est toi qui as éventé ma tombe pendant quarante jours ? »

—«  Non ! révéla la négresse. Moi, je venais d’arriver quand tu as ressuscité. Cette femme était endormie près de la tombe avec un éventail à la main. Mais tu m’as regardée et demandée en mariage et je n’ai fait que t’obéir sans bien comprendre, ô Monseigneur. »

Qatar Ben Matar recouvra la mémoire et épousa Aïcha Bent El-Hattab. Pour ses noces, elle reçut tout ce qu’elle avait vu se préparer en ouvrant les portes. Des merveilles et des merveilles.

 

Source : L’Algérie des contes et légendes  –  Nora Aceval

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