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Histoire de l'art

Cela s’est passé, un 17 juin 1928, naissance de l’artiste peintre M’hamed Issiakhem

«Un pays sans artistes est un pays mort… j’espère que nous sommes vivants »

mereM’hamed Issiakhem est né le 17 juin 1928 à Taboudoucht, un village d’Ath Djennad, près d’Azeffoun en Kabylie. A trois ans, il  part avec sa famille à Relizane, où il sera scolarisé à l’école indigène de 1934 jusqu’à 1945. En 1943, il se retrouve amputé de l’avant bras gauche, suite à l’explosion d’une grenade dans un camp militaire américain. Deux de ses sœurs et un de ses neveux, périront dans cet accident.

Le temps passe et M’hamed s’intéresse de plus en plus à l’art. Il s’inscrit ainsi à la Société des Beaux-arts d’Alger, à la fin des années 1940. Jusqu’en 1951, l’élève du miniaturiste Omar Racim suit les cours de l’École des Beaux-arts d’Alger. Raymond Legueult prendra le relais pour la peinture et Edouard George pour la gravure. Il rencontre alors Kateb Yacine, avec lequel il liera une grande amitié. Très vite, son talent de peintre est remarqué. Ce qui le mène à Paris, où il expose à la galerie André Maurice, il s’inscrit alors à l’École Supérieure des Beaux-Arts de Paris.

Boursier de la Casa Velasquez de Madrid en 1962, il préfère retourner en Algérie qui vient de recouvrer son indépendance. Il se joint à son ami Kateb Yacine et rentrent tous les deux, au service du quotidien Alger républicain.

Kateb Yacine a déclaré « Je l’ai vu plus d’une fois, finir une toile en quelques heures, pour la détruire tout à coup, et la refaire encore, comme si son œuvre  était aussi une grenade, qui n’a jamais fini d’exploser dans ses mains ».

Plus tard professeur aux Beaux-Arts d’Alger et d’Oran, il réalise de nombreuses expositions en Algérie et à l’étranger. En 1980, il se voit décerner à Rome, le premier Simba d’Or de la peinture, une distinction de l’Unesco pour l’Afrique.

M’hamed Issiakhem s’éteindra le 1er décembre 1985 à Alger, suite à une longue maladie, dans l’anonymat comme tous ces gens de culture.

«M ‘hamed Issiakhem. A la mémoire de…»

« Corps amputé dès la prime enfance à la suite de l’explosion d’une grenade qui a entraîné le décès de ses deux soeurs et de son neveu. Esprit mutilé. Car cet enfant par qui le malheur arriva est chassé du paradis maternel. Rejeté par la mère. Celle qui l’a enfanté et nourri de son sein. Privé d’amour maternel ! Manque ! Douleur ! Souffrance ! Depuis la chute, M’hamed Issiakhem est en perpétuelle quête de Reconnaissance. Celle de la mère, cette femme parée de robes «très riches en couleurs, très, très riches en couleurs(…) chatoyantes -et- brûlantes -qui- ne savait pas qu’elle transportait de la couleur…». Celle du public qui mériterait d’être davantage sensibilisé à l’Art. Et enfin la reconnaissance des pouvoirs publics qui a tardé à venir et dont l’urgente tâche est d’encourager et de promouvoir la création artistique algérienne en Algérie et ailleurs.

Mais cet homme qui croyait que «son talent était une punition des Dieux» n’avait-il pas tendance à concevoir son acte créateur comme une tentative désespérée de réparation ? Créer par l’entremise du pinceau et des couleurs n’était il pas pour lui une façon de se racheter en donnant la vie si symbolique soit-elle à des personnages imaginés et façonnés à l’image de son corps amputé, de son esprit torturé, de son état d’âme triste, de son malheur, de sa tragédie ? Tel un Dieu, le peintre incarnait le rôle d’un créateur d’êtres aux visages dépouillés d’expression, aux corps mutilés et aux âmes tourmentées.

C’est Alger, que M’hamed Issikhem s’initie à l’art. Après avoir fréquenté la société des beaux-Arts, il s’inscrit, en 1949, à l’école des Beaux-arts où il a le statut d’élève indigène. A cette époque il est à peine âgé de vingt-et ans. Les photographies de cette période renvoient l’image d’un jeune homme heureux, jovial, accueillant la vie à coeur ouvert.

C’est auprès de Mohamed Racim, peintre, calligraphe et miniaturiste (1896-1975) qu’il fait son apprentissage en matière d’arts traditionnels et d’enseignement académique. Puis il élargit ses centres d’intérêts et s’initie à «l’histoire de l’art, de la gravure, de l’anatomie et peint d’après le modèle vivant. Des paysages tracés et dessinés au crayon et à la plume sont des traces » de ses débuts précise M. D. Bouabdellah.

Entre 1953 et 1958, il fréquente l’Ecole supérieure des Beaux-Arts à Paris où il apprend selon le mode européen. Mais il prend de la distance avec ce type d’enseignement et s’oriente vers la production de compositions à dimension sociale et politique. C’est ainsi qu’il réalise « tableaux de moeurs » en lien avec l’histoire nationale et le contexte de l’époque. Il peint alors des figures humaines imaginées et inspirées de la réalité de son environnement immédiat, de ses souvenirs et bien d’autres sources d’inspiration (veuves, orphelins, ancêtres…). « Le Cireur» (1955), « Mendiants et aveugles d’Alger » sont des tableaux représentatifs de cette époque.
M’hamed Issiakhem était un «dessinateur prodigue» qui excellait dans l’art de la miniature, de la céramique, de la peinture et de la gravure. Puis au fur et à mesure de l’avancement de sa trajectoire artistique, il émerge comme un portraitiste de talent. Ses discours relatifs à l’art font ressortir l’image d’un artiste partisan d’une vision esthétique qui puise son essence dans le «réalisme socialiste». Il attribuait à l’art un rôle essentiellement social et éducatif au service de la révolution, de la société et du peuple. La mission de l’artiste consistait à permettre au peuple, c’est-dire aux gens ordinaires l’accès à l’art. Cette conception militante avait un lien avec le contexte de l’époque. Elle découlait du fait que M’hamed Issaikhem était convaincu qu’il était investi d’une mission révolutionnaire dont la finalité était la libéralisation des peuples.

Peintre abstrait ? Peintre figuratif ? «Entre abstraction et figuratif», répond M. D. Bouabdellah. Et à M’hamed Issiakhem de définir le style de sa peinture : «Si ce n’est mes visages, ma peinture est abstraite», affirme-t-il. Cette démarche qui consiste à concilier le figuratif et l’abstrait dénote le souci du peintre de se questionner, de se rechercher, de se démarquer afin de trouver sa voie et ainsi son propre style dont les compositions picturales se caractérisent essentiellement par une forte note d’ambivalence et de dualité en matière de forme et de contenu.

C’est en effet en tant que portraitiste que M’hamed Issiakhem s’était  distingué. Entre 1963 et 1985, date qui marque la fin de sa trajectoire artistique, il avait réalisé un grand nombre de portraits que M. D. Bouabdellah qualifie de «talismans et de points de repères – à travers lesquels il a – «réussi la prouesse de concilier l’intériorité et la réalité environnante et d’atteindre l’harmonie entre les moyens artistiques et les buts esthétiques».

Les portraits qui dominent l’univers pictural de M’hamed Issiakhem sont représentés par des figures féminines renvoyant au thème de «la femme» que le peintre a représentée sous diverses déclinaisons. L’un de ces thèmes concerne celui de «la mère» qu’il représente comme une femme à la maternité bienheureuse. Le tableau intitulé «La mère comblée» (1970) met en scène l’image d’une famille qui vit dans le bonheur. Cette oeuvre mixte est réalisée sur la base de dessin à l’encre de chine, de peinture, en l’occurrence de la gouache de couleur bleu et noir et de collages réalisés à partir de coupures de journaux et de reproductions d’art.

«La Mère», est également cette multitude de femmes aimantes qui tiennent dans leur bras des bébés. Elle est également cette figure maternelle prise dans les mailles de la folie et mise en scène à travers le tableau intitulé «La folle» en hommage à la mère de son ami, l’écrivain et dramaturge Kateb Yacine. Cette composition met en perspective l’image d’une femme à l’état psychique qui suscite de la peur, de l’angoisse et de l’effroi. A travers «Passé, présent, avenir», le peintre rend hommage à sa mère, cette femme qu’il voit en couleurs. Ces couleurs qu’il manie, triture, travaille, mélange, entasse sur la toile afin de dire sa douleur, de taire sa souffrance, son décalage, ses désirs, ses rêves, ses fantasmes…

Cependant, la figure féminine ne se limite pas qu’à la représentation de la mère. Car tout au long de sa trajectoire, M’hamed Issiakhem a peint des portraits de femmes qui incarnent la dimension berbère et algérienne.

Omniprésente dans ses compositions picturales, la dimension berbère est exprimée à travers notamment des figures féminines agrémentées de signes et d’accessoires (açaba, abrouq, foulard…) symbolisant cette culture («Chaouia» (1966), «Targuia» (1971) et bien d’autres œuvres). La référence à la culture berbère n’est certainement pas fortuite. Elle a pour fonction de marquer les origines du peintre et d’affirmer sa berbérie confisquée. Par ailleurs, cette dimension souligne son engagement dans l’histoire de son pays et renvoie probablement à la quête identitaire collective qu’il s’approprie pour mieux l’affirmer et la servir.

Le thème de «La femme algérienne» est exprimé à travers des figures féminines réelles : les moudjahidates, les actrices, les artistes… L’autre catégorie de femmes concerne notamment celles qui font partie de son réseau amical : Zoulikha Inal : «Lecture» (1972), Khedidja Hamsi : «Khedidja» (1981)…

Dans sa classification, M. D. Bouabdellah a répertorié deux types de portraits. D’une part, la catégorie des figures humaines représentant des femmes, des mères, des enfants, des hommes, des solitaires, des couples, des groupes correspondant à des «portraits virtuels -qui- obéissent à des inspirations fantasmagoriques». Très souvent anonymes, ces figures sont imaginées et créées au gré de l’inspiration du peintre, de son humeur, de ses états d’âme, de son anxiété, de ses angoisses, de ses peurs…

La seconde catégorie de portraits concerne les «portraits à part entière», c’est – à – dire ceux où les personnes représentées sont identifiées. Très souvent, ces compositions picturales représentent des personnes qui font partie de son entourage. Elles se caractérisent par une mise en valeur de l’expression et des traits du visage, en l’occurrence les yeux, le front… Par ailleurs, ces oeuvres doivent leur existence à une panoplie de sentiments tels que l’émotion, l’amitié, la reconnaissance, l’affection, la sympathie, la complicité… «La Mère», «Le Cardinal Duval», «Samir Rafaa», «Khedidja… sont des toiles représentatives de ce type de portraits.

D’une manière générale, un grand nombre de portraits mettent en perspective, d’un point de vue psychologique, des figures humaines, majoritairement des femmes, dépouillées de leur expression humaine. Ces êtres réels ou inventés sont très souvent représentés de manière tragique. Les visages tristes, livides, torturés, tourmentés, les corps mutilés, ils s’offrent à nos regards dans leur fragilité et leur nudité la plus touchante, la plus émouvante. Par ailleurs, les oeuvres picturales représentant «les mères et la maternité», «la femme et l’enfant» sont autant de thèmes qui ont préoccupé le peintre tout au long de sa trajectoire biographique et artistique. Le rapport à la mère, l’amour maternel, la famille heureuse, la séparation d’avec la mère sont des sujets qui ont hanté l’imagination du peintre, nourri son inspiration, apaisé sa douleur et favorisé la constitution d’une Oeuvre d’art d’une valeur inestimable.

M’hamed Issiakhem était un peintre de talent, « un dessinateur prodigue », un artiste d’une grande culture picturale qui avait le souci constant d’innover, d’inventer, de diversifier, d’enrichir son geste créateur ainsi que la forme et le contenu de ses oeuvres. Cette volonté transparaît clairement à travers de nombreuses oeuvres où le peintre ne se limitait pas à dessiner, à tracer, à peindre des formes figuratives et abstraites. M’hamed Issiakhem avait tendance à intégrer dans ses compositions des écritures sous forme de poèmes, de dédicaces, de citations, de signes symbolisant la diversité historique de l’Algérie : amazigh, latin, arabe.

Sources :

  1. M’hamed Issiakhem, «A la mémoire de…», (mis en ligne par chouf chouf.com) ouvrage publié sous la direction de Djaâfar Inal, Textes de Malika Dorbani-Bouabdellah, MAMA, FIAC éditions, Alger, décembre 2010
  2. Illustration : Tableau, huile sur toile, représentatnt la mère de l’artiste

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